SAE 4.01: Economie écologique

Chapitre 3: Actions et politiques de transitions

Thomas Delcey

Université de Bourgogne

Plan

  1. Définir le problème politique
  2. Quels instruments politiques ?
  3. Une transition juste.

Définir le problème politique

La tragédie des communs

Classification des biens d’Ostrom (1977)

Excluabilité Faible Excluabilité Forte
Rivalité Forte Biens Communs Biens Privés
Rivalité Faible Biens Publics Biens de Club

Rivalité et excluabilité

Un bien rival est un bien dont la consommation réduit la consommation disponible pour un autre agent économique. Un bien excluable est un bien pour lequel il est possible de limiter sa consommation.

Bien communs

Les biens communs

Les biens publics sont rivaux et non-excluables. La notion s’est élargie pour désigner des biens gérés collectivement par des communautés. Ils ne sont ni soumis à la propriété privée, ni à la propriété publique.

  • La notion a pris une importance considérable avec la crise écologique car elle permet de désigner une grande partie des ressources naturelles de la planète.
    • Ces dernières sont en quantités limitées (rivalité) …
    • … mais n’immporte qui peut se les approprier (non-excluabilité) ;

Le dilemme du prisonnier

\[ \begin{array}{c|c|c} & \text{Prisonnier B se tait} & \text{Prisonnier B dénonce} \\ \hline \text{Prisonnier A se tait} & (-0.5, - 0.5) & (-10,0) \\ \text{Prisonnier A dénonce} & (0,-10) & (-5,-5) \\ \end{array} \]

Le dilemme du prisonnier

\[ \begin{array}{c|c} & \text{Prisonnier B se tait} & ... \\ \hline \text{Prisonnier A se tait} & (-0.5, - 0.5) & ... \\ \text{Prisonnier A dénonce} & (0,-10) & ... \\ \end{array} \]

  • Si B se tait, il est préférable pour A de dénoncer (\(0 > -0.5\)) ;

Le dilemme du prisonnier

\[ \begin{array}{c|c|c} & ... & \text{Prisonnier B dénonce} \\ \hline \text{Prisonnier A se tait} & ... & (-10,0) \\ \text{Prisonnier A dénonce} & ... & (-5,-5) \\ \end{array} \]

  • Si B dénonce, il est préférable pour A de dénoncer (\(-5 > -10\)) ;

Le dilemme du prisonnier

\[ \begin{array}{c|c} & \text{Prisonnier B se tait} & \text{Prisonnier B dénonce} \\ \hline \text{Prisonnier A se tait} & (-0.5, - 0.5) & (-10,0) \\ \text{Prisonnier A dénonce} & (0,-10) & (-5,-5) \\ \end{array} \]

  • Quelque soit le choix de B, il est préférable pour A de dénoncer et symétriquement.

  • Malgré l’intérêt collectif de coopérer, les individus ont un intérêt individuel à agir de manière égoïste.

La tragédie des communs

“[L]e gardien de troupeau rationnel conclut que la seule solution raisonnable est d’ajouter un autre animal à son troupeau. Et encore un autre ; et encore un autre un autre…. Mais c’est la conclusion de chaque éleveur rationnel partageant un bien commun. C’est là la tragédie.”

L’écologue américain George Hardin (1915-2003)

Le malthusianisme

“Si elle n’est pas freinée, la population s’accroît en progression géométrique. Les subsistances ne s’accroissent qu’en progression arithmétique… Les effets de ces deux pouvoirs inégaux doivent être maintenus en équilibre par le moyen de cette loi de la nature qui fait de la nourriture une nécessité vitale pour l’homme.”

L’économiste anglais Thomas Malthus (1766-1834)

La gestion des communs

“Nous avons constaté que les utilisateurs avaient créé des règles de délimitation pour déterminer qui pouvait utiliser la ressource, des règles de choix relatives à l’emplacement du flux d’unités de ressources, ainsi que des formes actives de surveillance et de sanction locale des contrevenants aux règles”

L’économiste Elinor Ostrom (1933-2012)

Quels instruments politiques ?

Le budget carbone

Définition

Le budget carbone représente la limite supérieure des émissions de gaz à effet de serre qui permettrait de rester en dessous d’une température moyenne mondiale donnée. L’objectif en France est d’atteindre la neutralité carbone en 2050, soit 80 Mt d’eqCo2.

Les émissions sont la production territorial nationale. Source: Haut Conseil pour le Climat, Rapport annuel 2024

Les mécanismes de la transition

  1. La réorientation du progrès technique vers des technologies bas carbone.

Attention au techno-optimisme

Présentée comme une solution suffisante, le techno-optimisme favorise l’inaction.

  1. La sobriété.

“Les politiques de sobriété sont un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter la demande d’énergie, de matériaux, de terres et d’eau tout en assurant le bien-être de tous dans les limites de la planète” (GIEC, WG III)

La sobriété n’est pas qu’une démarche individuelle

La sobriété doit être pensée à l’échelle collective et institutionnelle. Ce n’est pas seulement un changement de comportements, mais des transformations des infrastructures et des modes de production.

La ré-orientation du progrès technique

Coût et adoption des énergies bas carbone. Source: GIEC, WG3

Chaîne de valeur de l’énergie solaire. Source: IEA

Les instruments politiques

La réorientation du progrès technique et la sobriété ne sont pas spontanées et nécessitent des instruments politiques:

  • Investissement public ;
  • Réglementations ;
  • Subventions ;
  • Tarification du carbone.

Les externalités

La navette challenger le 28 janvier 1986

Les externalités

Définition

Une externalité désigne une situation où un agent produit un effet sur d’autres agents économiques sans compensation monétaire.

  • L’effet peut être positif ou négatif.

  • L’agent peut être un producteur ou un consommateur.

  • C’est une défaillances de marché car le coût (ou bénéfice) privé \(\neq\) coût (bénéfice) social.

Réglementer les externalités

Définition

La réglementation est un instrument de politique publique qui fixe des règles de conduite pour les agents économiques.

  • Les normes ne sont pas que des interdictions mais des outils de transparence:
    • La taxonomie Européenne pour les activités durables (2020).
    • Normes européennes de reporting en matière de durabilité.
    • Dans un sens large: le planet score, etc.

Les tarifications du carbone

Définition

Internaliser une externalité signifie créer une compensation monétaire afin d’inciter les agents à réduire (augmenter) l’externalité négative (positive).

  • Les émetteurs de gaz à effet de serre ne payent pas le coût social de leur émission.

  • Deux solutions: la taxe carbone vs le marché carbone.

La taxe carbone en France

  • Mise en place en France en 2014.
  • 44,6 euros la tonne de CO2 depuis 2018.
  • L’objectif était de fixer la taxe à 100 euros en 2030 mais cette augmentatione est gelée par le gouvernement.

La taxe par litre de carburant

Etant donné qu’un litre d’essence émet 0.0023 tonne de CO2, une taxe de 44.6 euros la tonne de CO2 correspond à une taxe de \(0.0023 \times 44.6 \approx 0.10 \text{ euros par litre}\). Pour une taxe de 100 euros la tonne de CO2, cela correspondrait à 0.23 euros par litre.

Le théorème de Coase

“Si les coûts de transaction sont nuls et si les droits de propriété sont bien définis, des individus impliqués dans une externalité négocieront de façon à obtenir une allocation efficace des ressources”

“L’affectation des ressources sera identique quelle que soit la répartition des droits de propriété”

L’économiste américain Ronald Coase (1910-2013)

Le marché carbone européen

  • Marché primaire: chaque entreprise européenne reçoit un quota de carbone chaque année par l’union européenne** ;
  • Marché secondaire: les entreprises peuvent acheter et vendre leurs quotas de carbone selon leur besoin.
  • Le marché carbone internalise le coût social de la pollution dans le coût privé de l’entreprise.

Un privatisation de l’air ?

Le marché carbone fixe un prix d’usage d’un bien commun, l’atmosphère. Le droit d’usage n’implique pas un droit de propriété.

Source: Cedric Rossi

Note

La majorité du marché carbone concerne les émissions liées à la production d’électricité fossile.

Avertissement

Attention, les émissions importées ne sont pas prises en compte.

Les limites actuelles du marché carbone

Une couverture partielle

Il existe des secteurs qui ne sont pas (encore) concernés par le marché carbone et des secteurs qui sont partiellement concernés. 30% des émissions de gaz à effet de serre sont couvertes.

L’enjeu de la mesure

Le marché, comme la taxe carbone, nécessite une mesure précise des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi le marché carbone concerne essentiellement les émissions de CO2.

  • La taille: seule les grandes entreprises sont concernées.
  • Secteurs concernés: la production d’électricité et l’industrie lourde, les vols intra-européens. Le transport maritime est concerné depuis 2024.
  • Secteurs non concernés: l’agriculture, le batiment, les vols internationaux.

Les limites actuelles du marché carbone

  • Un prix jugé encore trop faible pour inciter à une transition rapide.
  • Des fraudes ont été constatées.
  • Des quotas délivrés gratuitement pour certaine installations pour éviter les fuites.

Les fuites

Les fuites de carbone désignent le déplacement de la production polluante d’un pays à un autre pour éviter de payer la taxe carbone. Le marché carbone s’accompagne d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (mise en place progressive à partir de 2023).

En résumé

Transition juste: qui doit faire les efforts ?

La transition est spontanément inégalitaire

  • Les émissions de gaz à effet de serre sont proportionnelles aux revenus des ménages.

  • La sobriété nécessite des investissements important pour les ménages (transport, logement, alimentation, etc.).

  • Le cout de la sobriété représente une part plus importante du revenu des ménages les plus pauvres.

Emissions et inégalités horizontales

Emissions et inégalités verticales

La taxe carbone est-elle juste ?

  • La taxe carbone est une taxe sur la consommation d’énergie fossile.

  • Les taxes sur la consommation sont des taxes régressives.

Progressif vs régressif

A l’inverse d’une taxe progressive, une taxe régressive est une taxe qui pèse proportionnellement plus lourdement sur les revenus faibles que sur les revenus élevés.

Exemples

Les impôts sur le revenu et sur les successions sont des prélèvements progressifs. La TVA ou la taxe carbone sont des prélèvements régressifs.

Inégalité \(\neq\) injustice

  • Une taxe carbone n’est pas forcément injuste si l’augmentation des émissions d’un ménage est un choix délibéré.

  • Mais si les émissions sont liées à des contraintes économiques, la taxe carbone est injuste.

Choix vs circonstances

La distinction entre choix et circonstances est centrale en philosophie politique. Un choix est une action délibérée, une circonstance est un élément extérieur à l’individu.

Justice \(\neq\) acceptabilité sociale

A quoi servent les recettes ?

Les recettes des tarifications carbones

La France a touché 1.4 milliards d’euros en 2021 via le marché carbone et plus de 40 milliards d’euros via les taxes environnementales.

  • Les recettes du marché carbone doivent déjà impérativement être utilisées pour financer la transition écologique.

  • Les recettes de la taxe carbone font partie du budget général de l’État (principe d’universalité budgétaire). Plusieurs affectations ciblées possibles:

    1. Participer directement à la transition écologique ;

    2. Compenser les ménages via des allocations ciblées, des baisses d’impôts ou un revenu universel ;

Références

Grégoire-Marchand, Pauline. 2017. « La fiscalité des héritages-Connaissances et opinions des Français ».
Pottier, Antonin. 2022. « Expenditure elasticity and income elasticity of GHG emissions: A survey of literature on household carbon footprint ». Ecological Economics 192: 107251.